Est-il temps d’instaurer une taxe sur les camions au Canada?

Traduit par Vincent Aubé

Malgré les rumeurs qui ont circulé plus tôt cette année, il n’existe aucun projet – imminent ou non – d’instaurer une « taxe sur les camions » au Canada.

Cette patate chaude politique n’est pourtant pas totalement dépourvue de racines – ou de mérite. Il s’agit de l’une des 40 recommandations formulées par le Groupe consultatif pour la carboneutralité (GCPC), un groupe d’experts indépendants dont le mandat est de guider le gouvernement fédéral « sur les voies les plus probables pour que le Canada atteigne des émissions nettes nulles d’ici 2050 », selon son site web.

Le gouvernement fédéral impose déjà aux voitures et aux véhicules utilitaires sport les plus gourmands une taxe d’accise allant de 1 000 à 4 000 $, afin de pénaliser les achats des pires pollueurs disponibles sur le marché. Toutefois, la politique actuelle prévoit une exemption pour les camions, que le GCPC suggère de supprimer.

Bien que le rapport du GCPC mette en garde contre les conséquences potentielles de l’élargissement de la taxe d’accise – souvent appelée « écotaxe fédérale » – sur les populations vulnérables, notamment les ménages à faible revenu, il suggère que les recettes générées « pourraient augmenter le financement disponible » pour le remboursement de la taxe fédérale pour l’achat ou la location de véhicules à émissions zéro.

La taxe sur le luxe touchera aussi les camions

Avec l’entrée en vigueur, le 1er septembre 2022, d’une taxe dite de luxe qui aura un impact sur l’achat de véhicules de tourisme à six chiffres, les acheteurs devront bientôt payer une prime pour les modèles les plus chers du marché, y compris les camionnettes. Et même s’il convient de répéter que l’élargissement de l’écoprélèvement fédéral aux camions est une question tout à fait distincte et qu’elle n’est pas officiellement sur la table, le fait qu’elle ne le soit pas « illustre l’aspect purement politique du problème », selon Byron Williston, professeur à l’Université Wilfrid Laurier.

« Si l’objectif est simplement de réduire les émissions dans ce secteur, il est déraisonnable et arbitraire d’inclure de nombreux VUS dans la taxe tout en excluant les camions qui émettent autant ou plus », a-t-il déclaré dans un courriel. « Pour une raison quelconque, ce véhicule est devenu un symbole culturel puissant – facile à exploiter pour certains politiciens. »

L’argument de M. Williston est valable. Après tout, le seuil à partir duquel l’écoprélèvement est déclenché – une cote de consommation combinée supérieure à 13,0 L/100 km – s’appliquerait à de nombreuses camionnettes. Pourtant, depuis l’introduction de l’écoprélèvement fédéral en 2007 par le gouvernement de Stephen Harper, alors premier ministre, les camionnettes ont été exemptées de la pénalité. Selon un article du Globe and Mail publié en 2007, les responsables des finances fédérales de l’époque ont déclaré « qu’il serait injuste de pénaliser les camionnettes parce que de nombreux Canadiens en ont besoin pour travailler ».

Pour certains, comme le groupe de la Fédération canadienne des contribuables (FCC), autrefois dirigé par l’actuel premier ministre de l’Alberta Jason Kenney, la simple suggestion d’une taxe sur les camions est un affront aux « millions de Canadiens » qui dépendent des camionnettes « pour leur gagne-pain ». C’est ce qu’affirme le directeur de l’organisation pour l’Alberta et la Colombie-Britannique, Kris Sims.

Le fait que quatre des cinq véhicules les plus vendus dans ce pays sont des camions suggère que de nombreux achats sont motivés par le désir plutôt que par le besoin, cependant. Malgré tout, il serait possible de mettre en place une sorte d’exemption pour les acheteurs qui ont réellement besoin d’une camionnette – les agriculteurs, par exemple, ou les gens de métier – bien que cela soit loin d’être infaillible.

« En fin de compte, toutes les camionnettes devront être incluses (et je soupçonne qu’avec l’exemption en place, le nombre de réclamations liées aux entreprises augmentera fortement, rendant ce problème encore plus aigu) », a déclaré Williston. « En d’autres termes, l’exemption ne fait que reporter la question à plus tard ».

Le professeur de l’Université Wilfrid Laurier a également fait remarquer que l’objectif de la taxe – décourager les Canadiens d’acheter des véhicules qui produisent des émissions excessives – va de pair avec les réalités indéniables du changement climatique et la nécessité de réduire les émissions dans tous les secteurs, y compris le transport.

Selon des données de Ressources naturelles Canada (RNCan) datant de 2016, quelque 27 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada proviennent du secteur des transports dans son ensemble – dont environ la moitié est attribuable aux véhicules de tourisme.

« Si nous acceptons que nous soyons au milieu d’une crise climatique (et on ne peut rationnellement le nier), nous devons aussi accepter que nous devions faire des sacrifices importants pour y faire face », a déclaré M. Williston.

« À mon avis, nous devons tous devenir beaucoup plus conscients des dommages profonds que le changement climatique engendre, dommages causés aux générations futures et aux membres les plus vulnérables de la génération actuelle. Et nous devons prendre conscience du lien très réel entre nos choix de consommation et ces dommages. La question du sacrifice s’applique donc à chacun d’entre nous, et pas seulement aux conducteurs de pickups. »

Regardez l’Europe

Selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), 21 des 27 États membres de l’Union européenne (UE) ont institué une forme de taxe sur les émissions pour tous les types de véhicules de tourisme. C’est également le cas du gouvernement britannique.

Selon une étude publiée l’année dernière dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, l’utilisation de pénalités et d’incitations a eu un impact réel sur le marché des véhicules neufs et sur les décisions d’achat des consommateurs.

« En particulier dans le segment des véhicules particuliers », ont écrit les chercheurs basés au Portugal, « l’adoption d’une taxe sur le prix d’acquisition des voitures neuves, associée à des politiques d’incitation à la mise au rebut des véhicules plus anciens et donc plus polluants, s’est avérée efficace pour promouvoir la demande de véhicules à plus faibles émissions (de dioxyde de carbone). »

Réforme de l’écoprélèvement fédéral

Chez nous, le magazine Policy Options, une publication de l’Institut de recherche en politiques publiques, proposait dès 2017 de réformer le modèle actuel de taxe d’accise « pour qu’il soit plus efficace sur le plan environnemental, tout en offrant un choix aux consommateurs ».

« Afin de rendre les véhicules à faibles émissions plus attrayants pour les consommateurs », écrivaient les auteurs, « la taxe devrait être appliquée à tous les véhicules en dessous d’un certain seuil d’indice de pollution. »

Selon la proposition, les véhicules de tourisme, y compris les camions, seraient taxés selon la même échelle de notation des émissions utilisée par Ressources naturelles Canada (RNCan). Les véhicules dont la cote se situe dans la moitié supérieure de l’échelle ne seraient pas taxés, selon la proposition, tandis que ceux dont la cote se situe entre un et cinq – un étant la pire – seraient pénalisés.

« Pour tenir compte de l’accessibilité financière, nous suggérons une taxe correspondant à un pourcentage du prix d’achat du véhicule », selon le rapport de Policy Options. Cela contraste avec l’écotaxe fédérale actuelle qui applique la même taxe de 1 000 à 4 000 $ aux véhicules les plus polluants, quel que soit le prix.

Les auteurs suggèrent une fourchette de taxes allant de 5 à 10 % du prix d’achat, en fonction de l’échelle des émissions. Ainsi, le pickup Ram 1500 TRX suralimenté serait taxé à hauteur de 10 % de son prix de base de 100 000 dollars, tandis que le Ford F-150 hybride ne serait pas taxé du tout.

Conclusion

Quelle que soit l’approche retenue, M. Williston, de l’Université Laurier, a fait remarquer que la solution au problème des émissions doit comporter plusieurs volets pour être efficace.

« D’abord, vous poussez les produits indésirables hors du marché, puis vous encouragez les produits de remplacement », a-t-il dit, faisant référence à une combinaison de taxes sur les émetteurs excessifs et d’incitatifs pour les véhicules électriques (VE).

« Les gouvernements provinciaux et fédéraux devraient investir beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement dans les rabais pour les VÉ ainsi que dans le développement de l’infrastructure des VÉ (et d’autres mesures) », a poursuivi M. Williston. « L’idéal serait de rendre le passage à l’électricité aussi indolore que possible sur le plan financier (et logistique) pour les consommateurs ordinaires. »