Technologie automobile

La réalité de la mobilité durable : Michelin Movin’ On 2019

Cette année, Montréal fait son cinéma pour accueillir le gratin mondial de la mobilité intelligente. C’est en effet aux Studios Montréal Grandé que s’est tenu le sommet mondial de la mobilité durable Movin’On 2019, les 4, 5 et 6 juin, soit tout juste avant le Grand Prix du Canada. Un emplacement si près mais si loin du centre-ville qui a mis au défi les belles promesses de la mobilité durable, les délégués ayant peine à s’y rendre. Pas de station bixi à proximité, des navettes coincées dans la circulation de Griffintown et un beau débarcadère Uber, gênant dans le contexte de la faillite de Téo Taxi. AutoHebdo.net s’y est rendu en hybride rechargeable, question de faire amende honorable.

« Les plus rapides (à innover) vont bouffer les plus lents » – Fathi Tlatli, DHL, citant son concurrent FedEx

Reste que ces studios de cinéma ont été un écrin idéal pour cet événement on ne peut plus branché, avec des décors industrialo-urbains montés par C2 Montréal et suffisamment d’espace pour aménager une piste d’essais de micro-mobilité sur le site même plutôt que dans le Vieux Port. On délaisse la cravate pour un foulard hipster, on s’assure que notre téléphone intelligent est à pleine charge et on pousse la porte.

Mobilité milléniale

Movin’On est toujours un choc pour un congressiste endurci. On n’y présente pas des réalisations concrètes, mais on vient ici pour échanger, partager ses idées et écouter des sommités du domaine, dans l’esprit des « Ted Talks », et on en repart la tête pleine d’idées sur ce que va devenir la mobilité et influencer son développement.

La conférence d’ouverture a mis la table, alors qu’un panel d’experts de la génération « Y », les fameux milléniaux, a échangé sur sa perspective de la mobilité durable et la nécessité de tisser des liens entre les acteurs de la mobilité et l’usager. Au niveau du transport des marchandises, on entrevoit une révolution alors que la prise de conscience du jeune consommateur favorise l’achat local, dans une perspective de chaîne du carbone pour la livraison des biens. On souhaite optimiser le saisonnier dans l’alimentaire et réduire les importations excessives.

On parle même d’agriculture urbaine sur toits verts. Sur cette note, l’allocution de Mme Kotchakorn Voraakhom, architecte du paysage en Thaïlande, était inspirante. Sa firme s’inspire des rizières à flanc de montagne pour concevoir des toits verts qui servent non seulement à la culture alimentaire mais aussi à la gestion des eaux de pluie, une problématique face à laquelle Bangkok s’est bétonnée dans le coin. La résilience face aux changements climatiques devient l’un des grands enjeux des transports alors que la montée des eaux et les événements météo paralysent la mobilité partout dans le monde.

La génération montante n’est pas dupe non plus. L’automobile électrique n’est véritablement durable que si l’électricité qui l’alimente vient d’énergies renouvelables, comme c’est le cas au Québec, avec l’hydroélectricité, ou au Portugal, avec l’éolien. Peu importe sa source, la mobilité électrique contribue déjà à l’amélioration de la qualité de l’air dans les centres historiques en Europe en y réduisant le taux de particules jadis émis par les moteurs diesel, aujourd’hui fortement règlementés.

L’intermodalité

La thématique de l’édition 2019 est l’intermodalité, c’est-à-dire la combinaison des solutions de transport qui permettent à un usager ou à des marchandises de compléter leur trajet. À une époque où la mobilité devient un service, on parle ici de jumeler les transports actifs et collectifs à l’économie de partage pour le transport des personnes, et aux solutions du « dernier kilomètre » pour les marchandises.

Le conférencier Jochen Thewes, de la firme de logistique DB Schenker, a fait ressortir les écarts dans les infrastructures régionales dans un contexte où la technologie et la mondialisation multiplient les kilomètres parcourus par nos paquets. L’Asie fait dans le neuf, l’Occident ne peut plus s’étendre et doit rénover ses actifs tandis que les marchés émergents doivent tout bâtir. Il y manque notamment de support pour des solutions non-fossiles. Face à la montée de la réglementation environnementale et du protectionnisme des marchés, la chaîne logistique se doit donc d’être résiliente, efficace et innovante.

Avec le phénomène mondial d’une demande à la fois effrénée et déconsolidée, le consommateur voulant tout et tout de suite, Jon Chorley d’Oracle affirme qu’on est aux portes d’une révolution dans le transport des marchandises, la plus grande depuis la venue du conteneur normalisé : celle de l’optimisation tous azimuts de la chaîne de distribution post-maritime, allant des pelotons de camions automatisés (pour répondre à la pénurie mondiale de chauffeurs) à la création de microdépôts de distribution dits du dernier kilomètre, employants des véhicules plus petits, et surtout, plus propres.

À cet effet, Fathi Tlatli du géant logistique allemand DHL souligne que le commerce électronique a triplé leur volume de livraisons de par le monde. La firme a développé sa propre fourgonnette électrique, qui lui permet de livrer des colis sans bruit la nuit dans les secteurs résidentiels. Mais qui dit hausse du volume dit aussi hausse de livraisons ratées pour cause d’absence des clients à domicile, un pourcentage qui atteignait 55% pour DHL. La firme a donc développé des applications permettant aux consommateurs de rediriger des livraisons, ou encore de les envoyer à des casiers, ce qui a réduit les parcours inutiles de 45%.

Autonomie, micromobilité et carburants alternatifs

Mis très à l’avant lors de l’édition 2018, le véhicule autonome (ou VA) affichait une nette perte d’autonomie cette année dans les propos rapportés par les experts sur les différentes tribunes du sommet Movin’On. Hormis Hadi Zablit de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, qui semble garder le cap, les autres panélistes semblent bien prendre note de la perte de confiance du public, et du mea culpa du secteur technologique, qui réalise que la montagne est un peu plus à pic que prévu. Kristopher Carter, de la Ville de Boston, a même organisé une démonstration de VA pour que le public puisse apprivoiser ces robots roulants.

Alors que les vélos électriques JUMP d’UBER arrivent à Montréal et que les trottinettes électriques ne sont pas loin derrière, la micromobilité était sur toutes les tribunes. AutoHebdo.net a fait l’essai pour vous d’un « scooter » électrique Lime, et on a réussi à ne pas se casser la figure. 25 km/h sur de petites roues dures et sans suspension, ce ne sera pas facile dans nos rues! Ces trottinettes, vélos et autres petits véhicules électrifiés dont l’usage est tarifé tombent dans le segment de la micromobilité, celle du premier et dernier kilomètre des usagers du transport collectif. Il s’agit là d’un volet de la mobilité en tant que service qui prend une croissance exponentielle en occident.

Les voitures électriques étaient moins à l’avant-plan cette année, car il ne s’agit en fait que de bagnoles après tout… Par contre, la filiale hydrogène était bien présente. La problématique du temps de recharge des batteries et de leur poids est un frein à la venue de l’électrification des transports lourds. Des experts d’Europe (Everett Anderson), de Californie (Cory Schumaker) et même de Chine (Audrey Ma) sont venus détailler l’avantage des piles combustibles à l’hydrogène, où le véhicule fabrique sa propre électricité à partir d’un gaz propre dont le réservoir se remplit en 10 minutes sur un camion.

Et l’automobile dans tout ça?

Dans ce forum de discussion, la bonne vieille automobile semble invisible. Les conférenciers parlent bien du modèle traditionnel de possession automobile, mais dans des termes comptables tels l’achat ou la location d’une propriété. Le monde de la mobilité durable semble ne pas vouloir voir le rapport émotif entre l’homme et son destrier. Mme Danielle J. Harris, stratège en innovation pour la ville de San Francisco, parle des automobiles en termes de « points de contact avec mes bordures », et de ses rues mal exploitées comme « entrepôts à voitures ». Brrr… Heureusement qu’il y a Michelin.

À travers les discours durables, Michelin, l’un des principaux commanditaires de l’événement, est bien présent. Le camion autonome Einride sans poste de conduite, la benne à ordure électrique « Made in Québec » de Lion et même la navette autonome Navya étaient tous chaussées de pneus du célèbre manufacturier français. L’an dernier, Michelin faisait état de ses recherches sur les pneumatiques adaptés aux véhicules autonomes, dont les passagers ne sauront que faire en cas de crevaison. En collaboration avec General Motors, Michelin a profité de la visibilité mondiale de Movin’On pour y dévoiler son nouveau pneu sans air, le UPTIS. La bande de roulement est similaire à celle d’un pneu classique, mais les flancs et la réserve étanche d’air sont remplacés par des ailettes flexibles en matériaux composites, et ce pneu se monte sur une jante adaptée qui elle a été développée par GM. Les prototypes chaussent ici une Chevrolet Bolt électrique, plus politiquement correcte en ces lieux qu’un Silverado.

Le modèle d’affaires de Michelin repose tout de même sur la vente de pneus, qu’ils contiennent de l’air ou pas. La firme s’est donc lancée dans une vaste étude du marché mondial de l’automobile, projetant les données et tendances de 2018 jusqu’à l’horizon 2030. Un volume colossal de données de l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Inde et de la Chine a été colligé, analysé, scruté et modélisé de façon à déterminer l’avenir des parts modales des transports routiers et ferroviaires non seulement par classes de véhicules (privés, collectifs, loués ou partagés), mais par catégories aussi, les véhicules électriques et les VUS ayant, par exemple, des besoins pneumatiques fort différents des sous-compactes d’hier. Avant le traitement des données, Michelin entrevoyait trois scénarios possibles, soit le « délicieux cauchemar », où le mode de vie à l’américaine prime, la « Dictature verte » qui imposera de force des changements durables à tous et la « Voie intelligente », qui saura faire la part des choses. Les données semblent pointer vers cette dernière, confirmant la perte de marché des berlines au profit des VUS, mais aussi un certain accroissement de l’autopartage, mais dans des proportions beaucoup plus modestes que ce qu’envisagent les communicateurs de la nouvelle économie entendus à Movin’On. Envers et contre tous, l’automobile privée semble bien vouloir garder sa place sur l’échiquier mondial de la mobilité.

Jean Todt, Président de la FIA et ancien Directeur course chez Ferrari, en conversation avec le collègue Mark Richardson, nous a rappelé par ailleurs la course automobile a été et demeure un fantastique laboratoire pour l’amélioration de la sécurité routière, de par son environnement extrême, et un bel outil de support à l’électrification des transports.

Le paradoxe

Parmi tous ces discours d’électrification, d’automatisation, d’intelligence artificielle et de durabilité des chaînes d’approvisionnement, on entend de plus en plus les grandes entreprises et les gouvernements s’exprimer sur le paradoxe des attentes des consommateurs. La technologie a rendu le commerce électronique plus facile, et ce dernier s’impose de plus en plus sur les boutiques de briques et mortier. Ces achats en ligne se font sans déplacement du consommateur, mais ils ont décuplé la demande sur la chaîne logistique mondiale. Le transport de marchandises n’est pas seulement une affaire à sens unique, les retours étant par exemple la source d’un pourcentage inquiétant de ces multiples transports, que Mme Crystal Lassiter d’UPS estime au tiers du volume de ses fameux camions bruns.

Le consommateur qui achète en ligne son vêtement en trois grandeurs va typiquement en renvoyer deux, qui vont potentiellement se rendre à l’enfouissement, en plus de générer du camionnage à toutes les étapes. Et que dire de la part de marché fulgurante de la livraison alimentaire, les « Y » étant de grands usagers de services tels Uber Eats. Comme quoi les habitudes de déplacement solo des générations « établies » ont simplement été mutées en déplacements courts multipliés de façon exponentielle sur toute la chaîne logistique, et lancés du bout des doigts d’un téléphone intelligent…